Entretien avec Aurélien Huguet, écologue

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entretien

Rencontre avec Aurélien Huguet, écologue, qui conseille architectes et urbanistes pour la conception de bâtiments et d’espaces plus propices à la biodiversité en ville.

« La nature en ville, cela vient répondre à un besoin »

 

Il a participé notamment au projet d’une école primaire de Boulogne-Billancourt (92), laquelle abrite à ce jour 345 espèces animales et végétales.

En quoi consiste le métier d’écologue ?

Aurélien Huguet : Au départ, il y avait des naturalistes qui travaillaient à l’étude de la faune et de la flore. Puis, de plus en plus, il y a eu des ponts entre cette discipline et d’autres, comme l’architecture, autour de l’aménagement, notamment en milieu urbain. Un écologue, c’est donc celui qui va travailler avec les aménageurs sur l’intégration de la biodiversité à un projet en secteur urbain.

Et justement, parmi Ces projets, il y a l’école des Sciences et de la Biodiversité, une école primaire à Boulogne-Billancourt qui accueille plus de 340 espèces vivantes. Comment avez-vous pu obtenir une telle diversité ?

A.H. : Le projet a été formulé ainsi, dès le départ, en 2009, avec l’idée de concevoir un bâtiment doté d’un parc sur son toit. Cette volonté d’intégrer des milieux porteurs de biodiversité dans l’architecture était rare à l’époque. Il a fallu inventer beaucoup de choses, concevoir une structure suffisamment solide pour supporter le poids de ce toit, intégrer des nichoirs dans les façades… et pas seulement les mettre en œuvre, mais aussi veiller, sur la durée, à perpétuer l’aventure. On a fait un chantier d’amélioration en 2020, puis un nouveau cette année. On enrichit les boisements, on apporte du sous-bois, on a également tout un programme autour de jardins aromatiques. Le secret de la réussite de ce projet, c’est d’être un processus continu, avec toute une chaîne de personnes impliquées sur la longueur : les architectes du cabinet Chartier-Dalix, bien sûr, l’Atelier d’écologie urbaine, l’Agence régionale de la biodiversité, moi, le personnel de l’école…

Au final, le diagnostic réalisé en 2022 a fait état de la présence de 345 espèces. Parmi les insectes présents, il y a de belles surprises, comme le recensement d’un beau petit papillon, l’argus bleu, qui s’est installé après que l’on a réensemencé la prairie. Nos nichoirs, créés spécifiquement, accueillent une vingtaine d’espèces d’oiseaux, et on croise aussi des libellules, des criquets, un faucon crécerelle qui vient chasser sur la prairie, des chardonnerets élégants qui viennent se poser sur les rambardes des classes. Et bien sûr, tout un projet pédagogique découle de cette présence vivante : la toiture, les enfants y vont tous les jours. Ils y font des observations, et créent même des œuvres d’art, dont trente beaux tableaux réalisés à partir du rapport de la biodiversité, figurant les espèces présentes sur le site : orchidées, papillons, sauterelles, oiseaux… 

Avez-vous des projets comparables en cours ?

A.H. : Il y a des projets en cours, mais pas de cette ambition, Avec le même cabinet d’architectes Chartier-Dalix, notamment, nous sommes en train d’installer des prairies calcaires sur une toiture à Paris, en appliquant des techniques de génie écologique à l’architecture, avec toujours cette idée de créer de la nature en ville – des paysages qui soient résistants au changement climatique, qui soient aussi des supports de biodiversité et, enfin, qui soient beaux.

On vit une époque vraiment intéressante pour la biodiversité urbaine parce que se rencontrent une volonté des habitants, et parfois des politiques, et une grande transversalité des spécialités…

Aurélien Huguet

À titre individuel, comment peut-on contribuer à permettre au vivant de se faire une place dans nos quartiers ?

A.H. : Il faut déjà avoir de l’espace pour ça : un jardin, une toiture-terrasse, un mur où on peut planter du lierre… Et dans ce cas, il faut tenter de n’utiliser que des plantes locales, en évitant les espèces exotiques parfois invasives. Si possible, viser les plantes indigènes, celles des jardins de nos grands-mères ou des jardins de curé. Une autre manière de contribuer à cela, c’est de demander aux élus plus d’espaces verts, plus de végétalisation. Des petits gestes, comme éviter le nourrissage des pigeons, qui rend difficile la cohabitation avec les habitants en ville, ou faire attention aux chats pour limiter leur prédation sur la faune sauvage. Il est enrichissant d’adhérer à des associations naturalistes comme la LPO ; et surtout observer, essayer de lever les yeux, écouter les oiseaux, dans les parcs et dans les rues…il y en a plus que l’on ne croit !

Est-ce qu’il y a un avenir pour la biodiversité en ville ? Pourquoi est-ce important ?

A.H. : On vit une époque vraiment intéressante pour la biodiversité urbaine parce que se rencontrent une volonté des habitants, et parfois des politiques, et une grande transversalité des spécialités – architectes, urbanistes, paysagistes, écologues… Ce qui suscite beaucoup d’échanges et d’inventivité, en parallèle avec une plus grande acceptation de la population pour les espaces renaturés. Cela vient répondre à un besoin, un manque éprouvé par les urbains. Mais attention, il s’agit plus d’une question de cadre de vie, à ne pas confondre avec les enjeux globaux de l’effondrement de la biodiversité, qui ne sont pas du même ordre.

La nature en ville, c’est très bien, cela fait vingt ans que je travaille sur ces projets-là, mais on ne peut pas dire, comme je le lis parfois, que cela sauvera la planète. Cela ne doit pas faire oublier tout le reste : les destructions d’habitat, les pesticides…Il y a des espèces qui disparaissent du péri-urbain et qui trouvent refuge en ville, si bien que les parcs urbains et les jardins pavillonnaires deviennent pour eux des îlots de survie. Mais cela ne concerne qu’une partie des espèces qui sont adaptables, celles qui sont dites ubiquistes. Les autres espèces, les espèces spécialisées des paysages agricoles ou des milieux humides, n’iront jamais en ville – ce sont pourtant ces espèces-là les plus menacées. Cependant, faire revenir de la biodiversité au cœur des cités, c’est bien sûr important, notamment pour les enfants, cela leur permet d’être connectés aux saisons, d’éprouver un sentiment d’appartenance à leur environnement.

Propos recueillis par Orianne Charpentier