Entretien avec Delphine Beauvois
Tout public
entretienAuteure du manifeste antisexiste et militante féministe, Delphine Beauvois est également professeur des écoles.
Ce combat n'est pas obsolète.
Est-ce que l’école joue son rôle sur le plan de l’égalité des chances ?
L’école n’est que le reflet de la société. A partir du moment où il n’y a pas de vraie bataille idéologique à tous les niveaux, ça ne peut pas progresser. Même s’il y a eu des prises de conscience et des avancées, ce combat n’est pas obsolète du tout. Dans notre pratique d’enseignant, nous avons tous tendance à reproduire des vieux schémas sans nous en rendre compte : dans la manière de distribuer la parole, par exemple, dans le temps d’écoute que l’on accorde aux garçons plus qu’aux filles, dans le fait aussi qu’on accepte plus facilement d’être interrompu par un garçon que par une fille, car on s’attend à ce que les filles soient sages et les garçons turbulents… La question se pose aussi par rapport aux contenus des enseignements. Une étude très récente sur la place des femmes dans les manuels de CP montre qu’elles sont soit absentes des pages, soit encore très souvent représentées à la maison.
Les programmes ne pointent-ils pas cette question de l’égalité des chances ?
Bien sûr, mais on n’est pas formé à ça, c’est laissé au bon vouloir de l’enseignant. Il faut avoir une vraie vigilance sur ces questions. Même en primaire, on peut faire tout un travail de déconstruction avec les enfants, par exemple au moment de Noël avec les catalogues de jouets ou les pubs sexistes. Avant, les jouets n’étaient pas genrés, les Playmobil ou les Lego par exemple. C’est une question de marketing : si vous faites un vélo bleu et un vélo rose, vous vendez deux fois plus de vélos ! Souvenez-vous de l’affaire des cahiers de vacances bleus et roses… Depuis l’an dernier, les magasins Super-U ont pris le contrepied dans leur catalogue de Noël en inversant les schémas : des garçons qui pouponnent et des filles qui jouent aux voitures.
Quand on parle d’égalité, on pense généralement promotion des filles, alors que le problème se pose aussi pour les garçons, non ?
Notre premier réflexe a été de faire un bouquin pour les filles (On n’est pas des poupées) et quand on a publié le deuxième, donc pour les garçons (On n’est pas des super-héros), il est apparu comme une évidence que de fait on reproduisait la séparation fille-garçon, d’où, finalement, l’album Ni poupées ni super-héros !, qui compile les deux. Ça a été notre erreur, et c’est l’erreur plus générale des mouvements féministes. Le féminisme ne peut être un combat des femmes contre les hommes, tout le monde a à y gagner, ça doit être mixte.
Vos livres s’adressent aux enfants très jeunes ?
Oui, dès la maternelle, on peut aborder ces questions. Nous voulions créer un outil qui provoque le débat à la maison ou en classe en mettant en avant un stéréotype par double page. C’était compliqué de ne pas retomber dans d’autres stéréotypes. L’idée, c’est de dire aux enfants qu’on a le droit d’être différent. On peut être une fille et ne pas aimer le rose, on peut vouloir être maman ou pas. C’est dans ce « ou » que tout réside.