Rendre la rue aux enfants

Tout public

Les bons gestes

Marelles et espaces végétalisés remplacent progressivement les voitures devant les maternelles et les écoles primaires à Paris. Une aubaine pour les enfants, qui peuvent circuler et jouer dehors en toute sécurité en profitant du calme et d’un air moins pollué. Mais aussi pour les parents et pour les riverains qui peuvent y flâner, se rencontrer, s’attarder à discuter… Créer du lien en fait. Quand les enfants reprennent pied dans l’espace public, tout le monde en profite. Une bonne nouvelle qui se fête le 28 septembre.

Rues aux enfants versus rues aux ecoles

Ce sera la première fête du genre : le 28 septembre, dans chaque arrondissement, les « rues aux écoles » se transformeront en « rues aux enfants », soit des espaces débarrassés des voitures et ouverts aux jeux libres et à l’animation. Rien de complètement nouveau sous le soleil : depuis le début des années 2000, dans le XIXe arrondissement de Paris, le Cafézoïde, lieu pionnier et militant pour le droit des enfants unique en son genre, organise des rues aux enfants sur le quai de la Loire. Des événements récréatifs réguliers où la chaussée, fermée à la circulation, se transforme en aire de jeux et d’animations. 

Cette belle initiative a fait des petits : dans le XIIe, où le Périscope, une association de parents du quartier, déploie régulièrement sa ludothèque rue Bignon ; à la Goutte d’or (XVIIIe), avec l’association Home Sweet Mômes ; et « rue Golotte », dans le IIIe arrondissement : là encore grâce à des parents motivés qui ont monté tout un projet lauréat du budget participatif en 2014 mais qui, dix ans après, repose toujours sur le même cercle de bénévoles et risque donc de s’essouffler.

La mobilisation de l’association Paris sans voiture a aussi apporté sa pierre à l’édifice. L’accélération de la crise climatique et la pandémie de Covid ont achevé de convaincre les élus de s’emparer du sujet. Certains chiffres y ont peut-être contribué : en 2019, 60 % de l’espace public est dévolu à la circulation alors que la voiture représente 13 % des déplacements. Ainsi, les rues aux enfants occasionnelles sont devenues des rues aux écoles pérennes.

Une véritable transformation

Aujourd’hui, il existe 205 rues aux écoles, dont 56 entièrement aménagées : l’objectif étant de 300 rues apaisées, dont près de 150 aménagées. Apaisées, aménagées ? Sur le terrain, ça ne recouvre pas la même réalité. Celles qui sont aménagées, on les reconnaît tout de suite : pour les yeux et les oreilles, c’est une véritable transformation ! Il suffit d’y passer pour en mesurer les changements et les bénéfices : la route a disparu, l’espace invite à la promenade, à la pause et aux jeux – marelle et autres dessins incitent les petits usagers à s’emparer du terrain. Pour qui se déplace en fauteuil aussi, il y a un avant et un après. 

Ce qui frappe d’abord quand on y passe, c’est le calme qui y règne. Moins bruyants, moins pollués (moins 30%, selon une étude de 2024 des associations Respire et AirGones), ces axes sont aussi pensés comme des îlots de fraîcheur et de biodiversité. Et ils permettent aux petits citadins, dans une ville très dense, très minérale, aux espaces verts souvent bondés, de se réapproprier l’espace public. A l’heure où l’on s’inquiète de l’impact des écrans sur le bien-être d’enfants de plus en plus confinés à l’intérieur, c’est décisif…

 

 

Associer les ecoliers au projet

Le CAUE (conseil d’architecture, d’urbanisme et de l’environnement), qui travaille aussi sur les cours oasis, mène un travail de terrain auprès des écoliers pour leur expliquer les transformations de la ville et les associer à certains choix au cours d’ateliers, de visites de chantiers et de jeux (jeux de piste, dessins au sol…) adaptés aux différentes tranches d’âge. S’adresser aux enfants permet également de toucher parents et enseignants. Rue de la Cour-des-Noues, dans le XXe arrondissement, les maternelles ont travaillé sur la signalétique des espaces végétalisés. Une manière de se les approprier et de découvrir le vivant. D’ici à ce que les enfants jardinent dans les rues et y construisent des cabanes, voilà qui bousculerait un peu l’ordonnancement un brin trop rectiligne et uniforme des rues aux écoles… En attendant, ils peuvent circuler librement dans le périmètre de l’école, lâcher la main des parents.

Adoptés unanimement, y compris par les mairies les plus récalcitrantes, ces aménagements – des délégations étrangères en font régulièrement un sujet d’étude – s’étendent aux parages des crèches, des collèges et des lycées, mais aussi des piscines, des bibliothèques et des conservatoires qui y trouvent des espaces de plein air pour leurs festivités de fin d’année. De nouveaux usages émergent : au printemps, sous l’œil ébahi de la concierge de l’école de la Cour-des-Noues, c’est toute une haie d’honneur qui s’est déployée pour de jeunes mariés.

Rues apaisées, rues aménagées 

Les « rues apaisées » sont des rues fermées à la circulation (au moins à certaines heures) ou, au minimum, classées en rues piétonnes (n’apparaissant plus sur les GPS) mais ouvertes au passage occasionnel des voitures. Elles peuvent aussi être considérées comme « zones de rencontre » : ce sont alors des axes où les piétons sont prioritaires et où la circulation se fait à 20 km/h.

Quant aux « rues aménagées », on les reconnaît à plusieurs éléments : le plateau piéton, le tapis de sol clair, la végétation, le marquage ludique et l’éventuel mobilier… Elles sont fermées aux voitures mais laissent passer les vélos et les véhicules de secours. En outre, les sols perméables accueillent les plantes et rafraîchissent la ville. Les rues aménagées se déploient en premier lieu dans les quartiers prioritaires de la politique de la ville. « Toutes les rues ne sont pas aménageables », nuance Priscilla Benedetti qui pilote le programme à la direction de la voirie et des déplacements, en raison des nombreux réseaux souterrains (métro, gaz, égoûts…) qui empêchent certaines interventions. « Ce n’est pas possible non plus quand il y a un parking ou un supermarché en raison des fréquentes livraisons. »

Les aménageurs doivent aussi veiller à ce qu’il n’y ait pas trop de report de voitures sur les rues avoisinantes. Aménager une rue est plus long et plus coûteux. Cela implique tout un travail de concertation avec les enfants et les habitants qui, spontanément, ne voient pas toujours la chose d’un bon œil. « Apaiser d’abord peut permettre de préparer le terrain pour aménager ensuite. » 

M.B.

© CAUE 75