Entretien avec Lucie Félix

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Un livre sert à créer une relation entre l’adulte et l’enfant, nous déclare Lucie Félix, artiste inventive dont les albums sont autant d’espaces ouverts sur l’imaginaire.

Son univers créatif, joyeux et coloré est à découvrir à la médiathèque Françoise-Sagan dans l’exposition atelier A hauteur de bébé qui invite à jouer et retrace aussi quelques grandes aventures du livre jeunesse d’hier et d’aujourd’hui.

 

Qu’est-ce qu’un livre pour les tout-petits ?

Lucie Félix : Le livre est un objet pratique et simple, c’est un moyen de s’adresser à une personne. Avec les tout-petits, comme on ne peut pas les emmener dans une narration, on insiste davantage sur la dimension sensorielle. Une libraire m’a raconté qu’une cliente lui avait rapporté Coucou au motif que ce n’était pas un livre. C’est vrai, ce n’est pas un livre au sens où il n’y a pas de texte, pas vraiment de pages, pas d’histoire non plus… Un livre pour les tout-petits, c’est avant tout un moment partagé avec un adulte, ou avec un autre enfant, à regarder, à pointer du doigt, à nommer des choses, à apprendre de nouveaux mots. Ce qui est génial, avec un bébé, c’est quand il nous regarde, avec ses petits yeux qui pétillent et cette impression d’avoir compris, lorsqu’il essaye de répéter les mots… L’important, ce n’est pas le livre en soi, c’est la relation. Avec Coucou, j’ai voulu faire un livre dont le seul et unique objet est de se voir à travers les pages transparentes, de se faire des coucous. Un livre sert à échanger, ce n’est pas un objet sacré !

 

 

Le livre est donc plus une passerelle, un dispositif ?

L. F. : Il sert à créer une ambiance propice au jeu libre. Cela permet d’ouvrir des possibilités, de susciter la curiosité, de se découvrir soi-même. Je cherche à allumer cette petite étincelle dans le regard des enfants quand ils ont inventé quelque chose, quand ils se surprennent eux-mêmes.

Un livre n’est pas un objet sacré

Lucie Félix

Comment s’adresse-t-on à un tout-petit ?

L. F. : Pour ma part, c’est en passant beaucoup de temps avec eux en atelier : je les observe, je me laisse imprégner, je regarde ce qui suscite leur curiosité et souvent ça rejaillit plus tard… dans un livre ! C’est important d’avoir du temps pour leur permettre de trouver le calme, de se poser et d’observer. Par exemple, avec Le Nid (un grand module en carton qui peut se plier dans tous les sens, ndlr), il y a des tas de possibilités à expérimenter. Je me sers aussi de mes souvenirs d’enfance, j’ai la chance d’avoir énormément joué quand j’étais petite. Je me souviens du plaisir de découvrir une chose, d’en faire le tour et de voir ce qu’on peut faire avec.

 

 

Dans Deux yeux, mon premier album, un livre assez classique avec des pages à tourner, il y avait déjà la dimension de surprise : j’essaye toujours d’aller chercher le lecteur dans son individualité. Je l’ai fait en me souvenant de moi en train de jouer. Paul Cox dit que pour s’adresser à l’enfant, il se met lui-même dans une disposition enfantine de création et de recherche. La disponibilité, c’est ce que j’essaye de créer en atelier. Quand vous parlez de dispositif, c’est exactement ça : je leur propose un cadre, même s’il s’agit toujours de le remettre en question et de le construire ensemble.

Ce que je retiens des sciences, c’est l’importance de la diversité des points de vue, de ne pas avoir peur du débat, d’exprimer des contradictions…

Lucie Félix

Vous évoquez Paul Cox : Munari et Komagata sont aussi cités dans l’expo ; vous inscrivez-vous dans cet héritage ?

L. F. : Oui ! Quand je suis arrivée en école d’art, après des études de sciences, j’étais un peu perdue, je manquais de connaissances et, quand j’ai découvert Munari et Komagata, j’y ai trouvé un langage poétique qui me séduisait, mais aussi une exigence vis-à-vis du lecteur. Tout n’est pas donné dès le départ. Ils se mettent vraiment à hauteur d’enfant et l’invitent à chercher, à se déplacer… L’esprit critique, c’est fondamental ! Munari menait aussi énormément d’ateliers. Souvent, je démarre les séances en construisant un chemin avec des petits tapis ronds en lino : d’un coup d’œil, ça nous emmène mentalement quelque part. Quand un enfant observe un adulte construire un chemin, il est déjà parti avec lui. Où ce chemin mène-t-il ? Pas besoin de le leur dire, à 1 an ils ont déjà compris.

 

 

En fait, c’est beaucoup de choses, un livre pour les nourrissons…

L. F. : Oui… Il y a aussi très peu de personnages dans mes livres, je ne veux pas proposer d’identification à untel ou unetelle mais à qui bon nous semble. Le personnage de mon livre, c’est l’enfant qui lit, quels que soient son apparence physique, son origine sociale, son genre… C’est lui qui va agir, qui va jouer. Il s’agit de mettre l’enfant en position de sujet. (…) Mais ça peut être génial de passer un moment avec son papi ou sa mamie qui raconte Blanche-Neige, il faut aussi des contes de fées. Ce que je retiens des sciences, c’est l’importance de la diversité des points de vue, de ne pas avoir peur du débat, d’exprimer des contradictions… S’adresser à un bébé oblige à se questionner parce qu’on se trouve face à quelqu’un dans une totale vulnérabilité. Ça pose la question de la responsabilité.

 

Propos recueillis par Maïa Bouteillet

Photos : Romain Rabier / Les Beaux Yeux

 

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À hauteur de bébé

Dès la naissance

Médiathèque Françoise Sagan, Paris 10e

Jusqu’au 25 février

Gratuit