Entretien avec Moïna Fauchier-Delavigne

Tout public

entretien

Journaliste et autrice de L’Enfant dans la nature et Emmenez les enfants dehors !, Moïna Fauchier-Delavigne plaide pour remettre la nature au cœur de l’éducation, essentielle au bon développement des enfants. Faire classe dehors permet à chacun, même aux élèves les plus en difficulté, de trouver sa place. Le danger, nous alerte-t-elle, ce n’est pas de les laisser libres au dehors, mais dans une vie trop sédentaire à l’intérieur. C’est même une question de santé publique.

Emmenez les enfants dehors !, c’est le titre de votre dernier ouvrage. Est-ce qu’il y a urgence ?

Moïna Fauchier Delavigne : Il y a urgence à se rendre compte que les enfants ont vraiment besoin de nature pour grandir, c’est essentiel. Un enfant qui ne touche pas la terre ne va pas développer ses cinq sens. Aujourd’hui, ils sont beaucoup trop à l’intérieur et le confinement n’a pas arrangé les choses.

Que trouve-t-on dans la nature qui n’est pas transmis à l’école ?

M. F. D. : C’est le contact avec le vivant. Dans une salle de classe, on aura des phasmes et quelques plantes vertes, mais on est coupé du vivant. Il ne suffit pas d’être en contact avec la nature, on en fait partie. Nous sommes, nous aussi, de la nature. Il faut se demander – pour les enfants comme pour les adultes – si cela nous fait du bien d’être tout le temps à l’intérieur, assis, statiques ? On sent bien, quand on est dehors, que cela nous apaise. Ce contact comporte de multiples bénéfices quant à la santé, aux compétences cognitives, sur le plan psychique, sur la réussite scolaire, contre le stress… Cela a été largement prouvé depuis des décennies. Plusieurs pays prennent désormais en compte ce besoin de nature dans le développement de l’enfant au niveau des politiques publiques, de l’éducation, mais aussi en termes de santé publique.

 

A découvrir aussi : Les balades en forêt avec l’Agence des espaces verts

Les sorties du Chemin de la nature

Les activités de la LPO-IDF

 

Qu’en est-il en France ?

M. F. D. : Pour l’instant, le besoin de nature n’est pas encore vraiment reconnu au niveau de l’Etat, mais, avec la situation sanitaire actuelle, l’organisation de classe en plein air est encouragée. C’est la première fois qu’une telle possibilité est reconnue, c’est un premier pas important qui va permettre aux enseignants de se lancer. Chez certains, dès lors que cela a été autorisé, il y a vraiment eu un déclic. D’ailleurs, tout le monde en ressent le besoin. On a bien vu la différence de vécu entre les personnes qui ont eu accès à un espace vert pendant le confinement et celles qui ont été enfermées dans un appartement. Avant, on ne se rendait pas compte à quel point les enfants étaient tenus à l’intérieur, là, on en a clairement vu les effets.

Du côté des parents, comment cela se passe-t-il ?

M. F. D. : En général, les enseignants craignent une réaction a priori des parents et pensent que ceux-ci vont avoir peur que leurs enfants se salissent ou se blessent. Or, souvent, dès que les enseignants expliquent la démarche, les parents sont très partants… C’est une prise de conscience générale qui fait son chemin. Mais les parents ne peuvent pas forcer l’enseignant à changer sa façon de faire classe. Ils peuvent, s’ils sont délégués, organiser des débats, des projections sur le sujet, inciter. Beaucoup de parents eux-mêmes sont coupés de la nature et ne se rendent pas compte de ce dont on prive les enfants. Ils voient l’extérieur comme un monde imprévisible, où il peut pleuvoir, il peut y avoir des guêpes, des moucherons, alors que dans un endroit fermé on contrôle, c’est rassurant. Dehors, ce qui est dangereux, ce sont les voitures, pas la forêt. Les enfants qui passent des heures sur les écrans depuis leur plus jeune âge, toujours assis et qui ne sont pas en lien avec le monde et les autres, là, vraiment, il y a danger.

Si les cours de récréation étaient plus naturelles, on aurait un accès quotidien à la nature pour tous. 

Moïna Fauchier-Delavigne

Y a-t-il une corrélation entre l’usage des écrans et le fait d’être coupé de la nature ?

M. F. D. : C’est une des causes, mais ce n’est pas la première. Cela fait des décennies que cette coupure est à l’œuvre. Une des grandes raisons, c’est la peur. La peur de l’inconnu. C’est culturel. Cette peur ne vient pas seulement des parents, elle vient aussi de la société qui impose des interdits, des normes. Les enseignants ont peur par rapport à leur responsabilité pénale, ils peuvent être attaqués en justice. A Berlin, la loi sur les cours de récréation a été changée : les enseignants avaient l’obligation de surveiller non-stop, à chaque instant, comme en France. Aujourd’hui, ils doivent être présents et disponibles, mais l’enfant  est aussi responsable de lui-même. En abaissant le niveau de stress de l’enseignant, ce dernier peut permettre davantage de choses à l’élève. La cour de récréation devient plus intéressante, plus complexe aussi, il peut y avoir des endroits cachés, des possibilités d’aventures. A force de tendre vers le risque zéro, on prive les enfants de nombreux apprentissages, la gestion du risque en particulier.

La cour de récréation c’est important car c’est le premier extérieur possible pour tous les enfants. Or en France, pour l’instant, les expériences alternatives d’école en forêt se déroulent surtout dans des écoles privées et peu dans le public.

M. F. D. : C’est aussi pour cela que j’ai écrit mon livre avec Crystèle Ferjou, qui enseigne dans le public ; il est important de montrer que cela est possible partout. Les enfants qui en ont le plus besoin, ce sont ceux qui vivent en ville, qui ne partent pas en vacances, d’autant qu’il y a moins de colonies, moins de classes vertes ; la seule nature qui leur soit accessible, c’est la nature de proximité – on ne parle même pas de parc naturel ni de forêt magnifique ! Et si les cours de récréation étaient plus naturelles, on aurait un accès quotidien à la nature pour tous, à la campagne comme en ville. Faire classe dehors peut aider chaque enfant à trouver sa place à l’école. En se libérant des contraintes liées à l’intérieur, même un élève vu comme perturbateur pourra être reconnu pour ses capacités d’imagination. D’ailleurs, une étude britannique a montré que, si tous les élèves profitent des apprentissages dehors, ceux qui sont le plus en difficulté en profitent encore plus. Faire classe dehors est une démarche plus inclusive. Une école où chacun peut avoir sa place, c’est essentiel ! n Propos recueillis par

Maïa Bouteillet

Dernier ouvrage paru :

Emmenez les enfants dehors ! avec Crystèle Ferjou

Robert Laffont

18 €