L’école dehors gagne du terrain

Tout public

Les bons gestes

Ramenée sur le devant de la scène par les récents confinements, la pratique de la classe dehors se répand, cette rentrée, en maternelle et en primaire. Pour le bénéfice des enfants mais aussi des enseignants.

« I feel good… I feel nice… so nice ! », opine une petite à couettes sous le couvert des arbres. Ce matin de juin, ils sont une vingtaine de la maternelle Emile-Bollaert, dans le XIXe arrondissement de Paris, près de la porte d’Aubervilliers, à entonner en chœur ce tube de James Brown. Installés au sol sur une bâche, ils chantent avec leur enseignant qui les accompagne à la guitare. Invariablement, la sortie au square démarre par ce rituel musical qui fait oublier la rumeur du périphérique tout proche. Puis les enfants rappellent les règles – «On ne tape pas les autres avec un bâton, on ne sort pas de la zone, on se rassemble au son de la crécelle… » – et entament l’activité de leur choix. Une fillette part en quête de petites bêtes avec une boîte loupe, une autre grimpe dans un arbre, trois petits disparaissent à la recherche de bâtons… «On n’est pas inquiets, sourit Concilia, l’Atsem, en préparant des petits chevalets pour la peinture, ils ne dépassent jamais les limites.»

 

 

Alexandre Ribeaud qui a été parmi les premiers, à Paris, à se lancer dans la classe dehors, en 2019, prône le lâcher-prise. A Berlin, où il a fait un voyage d’observation, on lui a dit : «Let them be (laisse-les être) » : si un enfant veut passer toute la séance assis contre un arbre, pourquoi pas ? Le dehors, a-t-il découvert, est un formidable espace pour libérer le langage. «J’ai des élèves qui sont mutiques dans la classe et qui, au jardin, se mettent à parler car ils vivent des sensations avec leur corps et expriment leurs émotions. On les voit de façon complètement différente. L’école dehors rebat les cartes des inégalités sociales. » La connexion avec la nature, l’appréhension du risque, le rapport au corps, ils sont nombreux les bénéfices de l’école dehors : «Les enfants ont besoin de bouger autant que de dormir.»

Combien seront-ils à faire classe dehors cette année ? En moins de trois ans, «les avancées sont phénoménales», dit Moïna Fauchier Delavigne, autrice de L’Enfant dans la nature et Emmenez les enfants dehors !, devenue experte au sein de la Fabrique des communs pédagogiques. Grâce à l’effet accélérateur de la crise du Covid, on est passé de l’imaginaire bucolique des forest schools, pratiquées par quelques rares écoles privées en France, à des centaines d’enseignants qui emmènent leurs élèves dehors, au moins une fois par semaine, ne serait-ce qu’au square du coin.

On voit les élèves de façon complètement différente. Ça rebat les cartes des inégalités sociales.

Alexandre Ribeaud

Un nouveau poste au rectorat de Paris

Signe de cette évolution, les premières Rencontres internationales de la classe dehors se sont déroulées fin mai à Poitiers. Cette rentrée, un poste d’enseignant a été créé au rectorat de Paris pour accompagner les enseignants. Jusque-là, ils pouvaient s’appuyer sur le guide pratique Apprendre dehors à Paris, édité il y a un an par l’académie de Paris, et compter sur le partage d’expérience de leurs collègues. Les enseignants s’autoforment via des groupes sur les réseaux sociaux, ou sur le terrain, en observant ce qui se fait ailleurs.

Ce matin-là, elles sont deux à suivre la classe d’Alexandre Ribeaud, venues d’une maternelle du XXe arrondissement, qui ont commencé la classe dehors il y a peu, et cherchent à alimenter leur pratique par d’autres expériences. «Il faut accepter de sortir du cadre de l’école, au début on a commencé dans la cour… On a dit aux parents que les enfants allaient revenir tout sales mais on n’a eu aucune plainte.  » Sans doute avaient-ils lu la lettre d’Anne Hidalgo qui fait de la classe dehors une priorité.

A l’école maternelle de l’avenue Parmentier, les cinq classes s’y sont mises en même temps, en septembre 2021. Mais face aux interdictions de pratiquer des activités dans le square du quartier, elles ont renoncé… jusqu’à ce que la mairie du XIe leur attribue une parcelle, en mars dernier. « Les enfants sont très heureux, ça leur fait vraiment du bien, ils sont toujours partants. On fait plus de sciences, mais les petits aspirent aussi à vaquer librement, à se poser pour écouter les oiseaux . » Quelle différence avec la cour de récré ? «Dans le jardin, ils peuvent davantage faire appel à l’imaginaire », expliquent Sabrina et ses collègues.

 

 

Un temps de respiration dans la journée de l’enfant

Valentine Bourrat, fondatrice de l’association Les Petits Sauvages et formatrice, rencontre plusieurs freins chez les enseignants : la sécurité, la pression du programme, mais aussi le manque d’intérêt pour la nature. «Il y a un malentendu entre la classe dehors et des animations ponctuelles. Beaucoup ne comprennent pas l’intérêt du jeu libre, ils veulent apporter des connaissances, dans un souci d’efficacité, ils préfèrent que j’arrive avec des activités toutes faites. Or, le jeu libre, c’est vraiment un temps de respiration dans la journée de l’enfant, c’est ce qui lui permet de retrouver de la créativité, c’est la liberté de faire des trouvailles, c’est laisser place à l’imprévu . »

Faire école dehors, c’est possible partout, même en milieu urbain. « Ancrer la pratique dans une régularité, c’est essentiel, sinon c’est juste une sortie », précise Corinne Mazel, conseillère pédagogique à la retraite qui tient le blog Enseigner dehors en ville et milite pour la reconquête de la rue pour les enfants.

Maïa Bouteillet

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Faire classe dehors, d’Alexandre Ribeaud, éd. Retz.

Ce livre est une version complétée de l’ouvrage Trésors du dehors rédigé par le collectif belge Tous dehors et accessible en ligne.

 

© Maïa Bouteillet / Alexandre Ribeault

Illustrations : Fanny Michaëlis