Entretien avec Aurélien Ramos
Tout public
entretienChercheur au sein du laboratoire Géographie-cités et membre du Labex TAPLA – "Des terrains d’aventure du passé/pour l’avenir" –, Aurélien Ramos suit de près les pratiques en Ile-de-France.
Un terrain d’aventure, qu’est-ce que c’est ?
Aurélien Ramos : Il n’existe pas de définition type. Les terrains d’aventure sont nés en Europe dans les années 1940. En Allemagne, en Angleterre, ce sont des équipements clairement identifiés, complémentaires mais différents des espaces d’accueil et de loisirs. En France, on les redécouvre à la faveur des enjeux de reconnexion avec la nature, du mouvement pour l’école dehors et de la prise en compte du vivant dans les politiques éducatives. Depuis la crise du Covid, l’extérieur n’est plus une menace, mais bien une ressource, et le terrain d’aventure est un outil d’apprentissage de l’extérieur. Aujourd’hui, avec les Ceméa et d’autres, il y a tout un mouvement pour comprendre ce qu’ont été les terrains d’aventure en France, pourquoi ils ont disparu et les leçons à tirer de cet héritage pour imaginer les terrains du XXIe siècle. Une charte essaie d’en fixer les contours mais ce sont des objets qui échappent à la norme . Or, plus on cadre, plus on risque de perdre leur particularité.
En quoi consiste cette particularité ?
A.R. : Ce sont avant tout des espaces d’accueil libres : il n’y a pas d’inscription, les enfants sont libres d’entrer et de sortir comme ils veulent, quel que soit leur âge. C’est aussi un espace d’activité libre, il n’y a pas d’animations organisées, ce sont les enfants eux-mêmes qui font leur programme en jouant, en interagissant. Et il n’y a pas d’aménagement, puisque c’est en jouant que les enfants vont aménager le terrain, le modifier, voire le détruire pour le reconstruire… Comment, alors, demander des subventions pour monter ces projets ? Ce sont des espaces de possibles, où la liberté d’action est majeure, mais ciblée sur les enfants qui ont moins leur place dans l’espace public. L’enjeu est de faire entendre aux pouvoirs publics qu’ils ont une valeur sociale, pédagogique, environnementale et urbaine.
Les terrains d’aventure échappent à la norme.
Pour quelles raisons ont-ils disparu en France ?
A.R. : Il y a eu une montée en puissance des réglementations, une frilosité de l’institution et le fait que ces terrains ont émergé sur des friches temporaires qui ne résistent pas à la pression foncière. C’est toujours le cas : les terrains de Villiers-le-Bel et de Bagnolet occupent des sites à l’abandon avant qu’ils ne soient réaménagés. Ce sont des utilisations malignes et inventives, mais ces projets restent fragiles, tout le travail des équipes est de peser dans le processus d’aménagement. En tant que paysagiste, les terrains d’aventure m’intéressent parce qu’ils remettent en question nos pratiques professionnelles : nous avons beaucoup à apprendre sur les besoins qui s’y expriment et sur la manière dont on peut fabriquer les espaces en les habitant.
Ce sont des espaces qui résistent, qui, sur le plan paysager, ne sont pas satisfaisants – on peut avoir l’impression que c’est un grand bazar de choses entassées –, cela remet en question les modèles de villes bien entretenues . Spatialement, un terrain d’aventure, ce n’est pas grand-chose ; ce qui est fort, c’est la structure mise en place qui pose les conditions des pratiques de jeu, d’expérimentation et de prise de risques.
Quels sont les bénéfices pour les enfants ?
A.R. : Ils peuvent s’y approprier leur environnement. L’espace public n’est pas toujours accessible ni confortable pour les enfants. Dans les quartiers populaires, ils sont souvent dehors, et inventent d’eux-mêmes des espaces pour jouer. Le terrain d’aventure ouvre des possibilités pour ces pratiques informelles. Les enfants reviennent, avec leurs cousins, leurs frères et sœurs, ils savent qu’ils y sont en sécurité et qu’en même temps c’est un espace d’entière liberté. Je voudrais aussi pointer ce qu’apportent les terrains d’aventure en termes d’égalité. A Villiers-le-Bel, l’équipe avait remarqué que les jeunes filles, entre 12 et 16 ans, ne pratiquaient pas le terrain pour elles-mêmes mais qu’elles y tenaient le rôle d’adulte, elles accompagnaient et surveillaient les petits ; il y a eu tout un travail pour leur permettre de trouver leur place, d’expérimenter et d’apprendre. Dans ce lieu, il y a la possibilité d’utiliser des outils, que l’on soit garçon ou fille… Les terrains d’aventure permettent aussi de toucher des enfants qui passent sous les radars des centres d’animation classiques.
Propos recueillis par Maïa Bouteillet
© Maïa Bouteillet