Entretien avec Johanna Hawken

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L’amitié, c’est quoi ? Réponse avec Johanna Hawken, initiatrice et responsable de la Maison de la philo à Romainville. Un lieu ressource qui propose des ateliers et livres pour partager les grandes questions.

L’amitié est une valeur qui apparaît tôt dans la vie des enfants. Qu’en disent les philosophes ?

Johanna Hawken : Dans l’amitié, il peut y avoir une part de rivalité et d’inimitié. C’est ambivalent, les enfants le savent ; on aime ses amis mais parfois ils nous poussent dans nos retranchements. L’ami est un alter ego hors du cercle familial, quelqu’un qui va nous bousculer, qui peut nous faire grandir. L’amitié n’est pas quelque chose de parfait. Pour le philosophe Aristote, connu pour avoir mis en avant la place de l’amitié, c’est une relation éthique, l’ami est celui qui nous rend meilleur.

Donc quelqu’un d’exigeant ?

J.H. : L’amitié, c’est comme un laboratoire de la relation sociale : on y apprend à cohabiter, à discuter, à se disputer… et on l’apprend avec une altérité beaucoup plus forte qu’avec la famille. Chez les enfants, les premières amitiés sont liées au jeu, ça peut paraître léger, mais, là aussi, il va se poser des problèmes éthiques : il faut partager, supporter l’autre, être présent pour lui… Souvent, les enfants disent : l’ami, c’est quelqu’un à qui on peut confier ses secrets. Il y a bien une dimension éthique, ça nous apprend à être plus responsable.

L’amitié nous confronte à la différence.

Johanna Hawken

Peut-on être ami avec quelqu’un de très différent ?

J.H. : L’amitié est une confrontation intime à la différence. La seule condition, pour qu’il y ait amitié, c’est la réciprocité. On peut être ami avec un extraterrestre s’il a les capacités cognitives, émotionnelles et éthiques d’être ami avec nous. Pareil pour les animaux. Les enfants vivent ces relations comme des amitiés parce que ce sont des socles rassurants. Cela questionne la place que l’on occupe dans la société. A l’école, je suis assise à côté de telle personne, je sais où je vais. L’ami imaginaire est une création psychique pour rompre avec la solitude. Cela touche à notre solitude existentielle. L’amitié est une question profondément philosophique.

Est-ce une notion que vous abordez souvent en atelier ?

J.H. : Oui, par le biais de la différence et des limites.  Parfois, les enfants sont confrontés à des dilemmes : mon ami me demande quelque chose que je ne veux pas faire, est-ce que je dois le faire quand même ? Cela pose des questions morales. L’amitié renvoie à la liberté. Choisit-on ses amis ? Est-ce qu’on ne va pas vers quelqu’un qui nous ressemble ? Souvent les amitiés se nouent dans une forme d’entre-soi. Choisit-on vraiment d’être ami avec une fille quand on est une fille, avec un garçon quand on est un garçon ? N’y a-t-il pas une pression sociale pour que les amitiés soient à ce point genrées ?

Recueillis par M. B.