Entretien avec la philosophe Françoise Dastur

Tout public

entretien

La mort : point final ou point d’interrogation ?

Avec le livre Pourquoi la mort ?, la philosophe Françoise Dastur nous entraîne dans une vraie réflexion autour de la mort, à l’usage des enfants et des adolescents.

Vous avez beaucoup écrit sur la mort et la finitude, en plus de cet essai destiné à un jeune lectorat. Pourquoi ?

Françoise Dastur : Je n’ai pas de raisons personnelles. Comme tout le monde, j’ai eu des deuils dans ma vie, mais ce n’est pas un deuil qui m’a fait choisir ce sujet. Tout est parti d’une demande : on m’a sollicitée pour parler philosophiquement de la mort, une année où ce thème faisait partie du programme de terminale. A l’époque, la mort était vraiment un sujet tabou, comme si notre société moderne refusait de se confronter à cette donnée fondamentale. Edgar Morin raconte d’ailleurs comment, il y a trente ans, il a écrit une Anthropologie de la mort qui est tombée dans le silence. Depuis, j’ai continué de réfléchir sur la mort, parce que c’est une préoccupation qui accompagne les êtres humains tout au long de leur existence. Il me semble aujourd’hui que cette question revient au premier plan, et je trouve que c’est une bonne chose.

 

Comment procède-t-on pour concevoir un petit ouvrage philosophique qui s’adresse à des enfants ?

J’ai longuement hésité avant d’accepter d’écrire ce livre. L’exercice me paraissait très difficile. Mais je me suis aperçue en discutant avec des enfants et des adolescents que c’était une question essentielle pour eux. Concrètement, j’ai essayé de me mettre à leur place, de parler un langage simple, tout en donnant des informations : une véritable acrobatie, d’autant qu’il s’agit d’un problème que l’on n’ose pas toujours aborder pour un auditoire si jeune. Mais ce qui m’a guidé, c’est justement l’intuition que les enfants et les adolescents étaient au contraire plus ouverts à cette question que ne le sont parfois les adultes. Peut-être parce qu’ils sont moins pris par les nécessités de la vie, ils se posent eux-mêmes des questions fondamentales, des vraies questions, au point même que parfois cela les tourmente.

 

Vous abordez des notions complexes, comme les pratiques rituelles, l’épicurisme, les religions…

Les morts étaient très importants dans les sociétés anciennes (et le sont toujours dans certaines sociétés), ils devraient continuer de l’être pour nous. Il y a quelques années, on cachait les enterrements aux enfants, et je trouve que cela n’est pas bon. J’ai donc commencé à parler des pratiques funéraires, qui sont le propre de l’humanité. Ensuite, j’ai essayé de retranscrire les principales interrogations qui surgissent à l’idée de la mort : « Y a t-il une vie après la mort ? », par exemple. Quand celle-ci est posée, je crois qu’il ne faut pas se précipiter pour y répondre. Si on a la foi, on peut donner la réponse que la foi nous inspire. Et si on ne l’a pas, on devrait peut-être rester dans cette incertitude qui est le fond même de notre existence – car personne ne peut savoir s’il y a une vie après la mort ou pas. Autre question, « Peut-on accepter l’idée de la mort ? ». Certains philosophes préconisaient de se blinder contre la peur de la mort. Je pense au contraire qu’il faut accepter cette épouvante, affronter la peur, parce que cette peur-là peut nous amener à voir la mort autrement, à découvrir cet autre visage de la mort dont je parle à la fin du livre.

 

Justement, qu’aimeriez-vous qu’un jeune (ou même un adulte) ait compris après l’avoir lu ?

Que la mort est une nécessité. Bien sûr, quand on vit la mort d’un proche, c’est toujours un drame, c’est toujours un scandale. Mais avoir l’idée de la mort peut donner à un être humain l’envie de vivre, de faire des choses, d’avoir une existence bien remplie. Si épouvantable qu’elle soit quand on y pense, la mort peut être un aiguillon : c’est là l’autre visage de la mort. Je crois que les enfants ou les adolescents sont capables de voir cet autre visage.

Propos recueillis par Orianne Charpentier

______________

Pourquoi la mort ?

De Françoise Dastur

Editions Gallimard-Jeunesse, collection Giboulées

A partir de 10-11 ans

9,50€