Entretien Pauline Sales

Tout public

entretien

"En prévision de la fin du monde et de la création" d’un nouveau est une pièce inspirée de la parole des enfants imaginée par Paulines Sales.

Autrice et metteuse en scène, Pauline Sales a imaginé une pièce autour des enfants et la politique, dans le cadre d’une commande des Théâtrales Charles Dullin, festival de création dans le Val-de-Marne.

Quel a été le point de départ de votre spectacle ?

Dans le cadre de ma résidence d’écriture dans le Val-de-Marne, j’ai assisté à une séance du conseil municipal des enfants de Chevilly-Larue, où des enfants de CM2 et de 6e élus par leurs camarades travaillent en commission, encadrés par des adultes bénévoles qui, pour certains, avaient été élus. Les enfants avaient des idées pertinentes, étonnantes, drôles, certaines difficiles à mettre à exécution. J’ai été étonnée de voir comme, en tant qu’adultes, on les ramène systématiquement au réel ou à ce qu’on nomme comme tel. Je crois qu’il y a un défaut d’écoute des adultes, qui se réapproprient la parole des enfants avec leur propre point de vue. C’est difficile de les laisser s’exprimer, les laisser penser, leur donner le temps, ne pas les cadrer, accepter de se laisser modifier. 

Dans la pièce, les trois protagonistes ont plein d’idées. Quelles sont celles qui ont retenu l’attention des enfants et ados devant lesquels vous avez joué ? 

Le RMEE, le « revenu minimum d’existence pour enfants », est vraiment une mesure phare pour beaucoup. Un jeune garçon nous a dit  : « Avec ça, d’abord, j’achèterai à manger et ensuite des jeux. » Autre mesure importante à leurs yeux, le « droit à disposer de son corps d’enfant » : dans la pièce on peut supposer que Madison a été abusée bien que ce ne soit jamais énoncé clairement, mais il n’y a pas besoin de formuler explicitement les choses pour qu’ils les entendent, ils ont une écoute très fine, ultrasensible… Le « droit à choisir ses parents » a aussi beaucoup de succès ; dans la pièce, les parents existent par petites touches. Pour les enfants, c’était très important de savoir, de reconstituer l’histoire familiale de chacun des personnages.

Vous avez travaillé avec une classe de 6e. Qu’en est-il ressorti ?

Quand nous avons commencé les interviews, avec Perrine Malinge, nous pensions que la parole serait difficile à venir. Or, les enfants avaient une certaine aisance et même un besoin de s’exprimer. L’objet micro a joué de manière très positive, comme si le fait que ce soit enregistré donnait de la valeur à leur parole. Je leur ai aussi demandé d’inventer des mesures, et ils ont écrit des choses très belles : obligation d’écouter son enfant pour mieux comprendre ses choix ; droit à ne pas se sentir seul ; droit à avoir la parole en classe sans se faire écraser par d’autres gens ; obligation d’obtenir un consentement avant de faire quelque chose ; obligation d’être reconnaissant envers la nature ; obligation de jouer, en étant enfant il faut jouer…

A travers ces mesures, c’est la notion de respect qui prime. Est-ce ce qui leur manque ?

Oui, c’est vrai, je n’y avais pas pensé de cette façon, mais vous avez raison, respect et écoute. Que leur parole ait de la valeur. 

Dans la pièce, il y a tout un jeu autour du mot « demain », l’un dit que c’est un verbe, l’autre un nom… Au-delà du fait que c’est drôle, que voulez-vous raconter avec ça ?

On remet souvent tout à demain. C’est comme ça dans le quotidien mais aussi pour des enjeux d’importance, comme la crise climatique. Les trois enfants de la pièce souhaitent que leurs mesures soient mises à exécution dès le lendemain. Naïveté ou au contraire sens de l’urgence ? C’est assez illogique pour les enfants. On exige beaucoup d’eux, et, concernant la survie de la planète, nous, les adultes, remettons à demain. 

Dans la pièce, les enfants utilisent inconsciemment la forme du discours politique, en employant un effet de répétition du même mot qu’ils souhaitent mettre en exergue, mais ils se trompent sur sa nature. 

Votre pièce montre aussi que, très jeune (dès 10 ans), on peut avoir des idées, et qu’il faut arrêter de prendre les enfants pour des écervelés…

Il faudrait écouter les enfants encore bien plus tôt, dès qu’ils ont la parole. Ils ont une grande conscience du monde et vivent, pour beaucoup d’entre eux, dans des réalités sociales et/ou familiales pas si évidentes, qui affûtent leur sens de l’observation. Ils ont une véritable capacité à appréhender ce demain justement, qui les attend. On parle de plus en plus des très jeunes qui ressentent une anxiété profonde face à la crise écologique. On peut comprendre que l’idée même de futur ne soit pas si simple pour elles et eux. 

Propos recueillis par M.B

 

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