Entretien avec Laura Wandel

Tout public

entretien

Avec Un monde, son premier long-métrage, la réalisatrice belge Laura Wandel signe un film subtil sur le harcèlement, l’un des rares à aborder ce sujet dans une école primaire.

A sa sortie en salles, en janvier 2021, nous avions écrit tout le bien qu’on en pensait. Le film vient de paraître en DVD, l’occasion d’y revenir avec la réalisatrice.

Qu’est-ce qui vous a amenée à faire un film sur le harcèlement ? 

Laura Wandel : Au départ, je voulais confronter le spectateur aux premiers moments de l’école et à la nécessité de s’intégrer à une nouvelle communauté. La fiction, chez moi, naît toujours d’un lieu ; là, c’était l’école et, en particulier, la cour d’école. Et c’est ce que j’y ai observé qui m’a amenée au harcèlement. Ça parle du harcèlement mais aussi de comment trouver sa place dans le monde, des rapports de force… toutes choses liées au harcèlement. C’est une dynamique complexe. Un enfant commence à être violent quand il se sent en danger, un enfant harceleur, c’est souvent un enfant qui ne va pas bien, il n’a pas d’autre arme que la violence. Et cela se transmet : celui qui était harcelé devient lui-même harceleur parce qu’il a l’impression que c’est la seule façon de s’en sortir. Tout est une question de reconnaissance par l’autre.

Votre personnage principal n’est ni victime ni bourreau mais témoin, pourquoi ?

L.W. : Dans les cas de harcèlement, il y a le harceleur, le harcelé et le témoin. Le témoin porte aussi une forme de responsabilité. Il est pris entre vouloir aider et sa peur d’être harcelé lui-même. Il m’a semblé important de montrer ce point de vue rarement abordé. C’est aussi pour que les spectateurs puissent se projeter. Tous, à un moment de notre vie, nous avons été témoins de violences, je pense même que nous sommes tous passés par les trois positions, parfois les frontières sont ténues.

Le fait que ça passe par une relation frère/sœur est-il important ?

L.W. : C’est venu assez vite dans le scénario. Cela m’a paru intéressant par rapport au conflit de loyauté. Ce qui m’a intéressée aussi, c’était cette petite sœur, complètement effrayée au début, qui pense que son grand frère va pouvoir l’aider alors qu’en fait, c’est l’inverse qui va se produire. Je veux déjouer nos a priori. Dans la tête des personnages, le fait que le père soit présent tous les jours à la sortie de l’école, cela renvoie à l’absence de la mère et signifie qu’il n’a pas de travail et ces a priori des autres vont transformer le regard de Nora sur son père, tout comme elle va changer de regard sur son frère. Pour s’intégrer, elle est prête à renier son propre frère. La violence part aussi de nos a priori.

Comment avez-vous fait pour faire jouer certaines scènes parfois très dures aux enfants ?

L.W. : Au casting, j’avais fait attention de ne pas sélectionner d’enfants vivant ces situations de trop près. Maya Vanderbeque, qui joue Nora, l’avait vécu en tant que harcelée, et Günter Duret, qui joue Abel, le frère harcelé, avait été témoin, ils pouvaient donc aussi apporter des choses à leur personnage. Nous avons mis en place toute une méthode : d’abord, nous leur avons fait construire la marionnette de leur personnage pour qu’ils fassent bien la distinction entre eux-mêmes et leur personnage, puis, nous leur expliquions le début des scènes en leur demandant d’imaginer la suite, ils nous proposaient des tas de choses et ça permettait de discuter de violence, de harcèlement… Ensuite, on les a fait improviser et je réécrivais la scène par rapport à ce qu’ils amenaient – il y a plein de choses que je n’aurais jamais pu imaginer toute seule –, et, dernière étape, on leur faisait dessiner leur personnage et leurs scènes. On a appliqué cette méthode pour tout le film. Ainsi, au moment du tournage, ils avaient leur scénario dessiné. C’était une manière ludique de garder une trace et puis certains avaient à peine 6 ans au moment du tournage et ne maîtrisaient pas encore l’écriture. Pour les scènes les plus violentes – paradoxalement, ce sont celles où il y a eu des fous rires sur le tournage –, nous avons travaillé avec un cascadeur, chaque geste était chorégraphié au millimètre. De fait, ça devenait très technique et ça mettait le sens, donc la violence, à distance.

Depuis que le film est sorti, avez-vous fait beaucoup de rencontres ? Quelles sont les réactions ?

L.W. : J’ai été prise dans un tourbillon avec ce film, j’ai fait des rencontres partout dans le monde. Et les demandes des écoles continuent, ça n’arrête pas, il y a un véritable besoin d’en parler. Après une séance, des jeunes sont venus me voir pour me dire que, grâce au film, ils avaient enfin pu expliquer à leurs parents ce qui leur arrivait… Je ne m’attendais pas à ce que ça devienne un objet pédagogique. J’ai été très touchée de toutes ces paroles échangées avec les enfants mais aussi avec les instituteurs. Un enseignant m’a parlé du moment où Nora, voyant son frère dans la poubelle, remet le bandeau devant ses yeux et m’a dit qu’il faisait pareil : « Je fermais les yeux parce que je ne savais pas quoi faire. » Le fait qu’il ait le courage de raconter cela en public marque le début de quelque chose : tant qu’on n’avouera pas notre incapacité à faire face et notre besoin d’aide, on n’y arrivera pas.

Propos recueillis par Maïa Bouteillet