Interview de Vincent Vergone
Tout public
entretienArtiste pour la petite enfance, plasticien et metteur en scène, Vincent Vergone œuvre à la confluence de l’art et de la nature, en jardin et en forêt, à Paris et dans le Parc de la Poudrerie, en Seine-Saint-Denis. Il revendique la culture intensive de la tendresse et de l’émerveillement.
Comment êtes-vous passé de la salle de spectacle au jardin ?
VINCENT VERGONE : Je me suis toujours posé la question de l’implantation du travail. J’avais monté un lieu d’accueil enfants-parents, Espace libre culture, à La Courneuve, à l’époque des Maisons vertes, il y a plus de trente ans. Cela ne me satisfaisait pas de faire uniquement des spectacles, je voulais lutter contre la ghettoïsation et contre la déstruction de la culture, auprès de familles pauvres acculturées et de familles étrangères en perte de leur culture d’origine. Ensuite, j’ai créé la Mirabilia, un lieu de recherche où, petit à petit, la dimension de la nature a émergé. Je commençais à comprendre que si on se soucie des enfants, il faut se soucier de leur avenir, donc de l’état de la planète. Avec Le Jardin sous la lune, c’était la première fois que j’intégrais du vivant dans un spectacle. J’avais imaginé tout un parcours dans les crèches, où les enfants jouaient avec des graines, des vers de terre, et avec la poésie, dans l’idée d’aborder la nature comme quelque chose de culturel et la culture comme quelque chose de naturel. C’est l’époque aussi où nous avons lancé le festival Un neuf trois soleil dans les parcs du 93 pour toucher les familles qui n’allaient pas au théâtre. C’est comme ça que les services enfance, culture et espaces verts de Seine-Saint-Denis ont commencé à travailler ensemble et que Guillaume Gaudry m’a proposé de faire un jardin pour prolonger ces expériences autour de la petite enfance et de la nature.
Dans votre livre, vous parlez souvent de laisser-faire, en vous inspirant de Gilles Clément. Comment cela se traduit-il au Jardin d’émerveille ?
V. V. : C’est une manière d’entrer en communication avec l’autre ; je demande souvent aux musiciens de jouer pour les oiseaux, c’est-à-dire de ne pas forcer la relation avec les enfants. Au jardin, l’artiste est toujours dans une écoute de l’instant et cherche à en faire un instant magique. Nous travaillons sur la spontanéité et sur la présence. Souvent, un parent qui vient au jardin va se cacher derrière son enfant, derrière son téléphone, ou derrière une posture, il n’ose pas être présent. Etre vraiment présent, c’est-à-dire fragile, c’est difficile. Travailler sur la spontanéité, c’est permettre le surgissement de ce qu’on n’avait pas prévu. Pour moi, opposer nature et culture est un contresens total. Avant, l’écologie dans les spectacles, c’était instrumentaliser l’art pour apprendre aux gens les bons gestes pour bien trier leurs déchets, heureusement cela évolue… La question, c’est comment on se change à l’intérieur pour être ouvert au monde alentour, comment on remet en question profondément nos manières de vivre et de penser. C’est un travail en profondeur. Une des notions fondamentales est le « réempuissancement » ou l’empowerment : nous sommes dans une culture de la servitude, disent les écoféministes ; pour se réaccorder à la nature, il faut d’abord reprendre le pouvoir sur notre propre nature, sur ce qu’on est soi-même. Donc, ici, permettre à l’enfant de s’épanouir dans toute sa puissance d’agir, ne pas être dans une relation « fais pas ci, fais pas ça », mais lui permettre d’expérimenter son goût, sa liberté.
Opposer nature et culture, est un contresens total.
Au jardin, les adultes ont souvent peur que les enfants tombent ou se salissent. Comment cela se passe-t-il ?
V. V. : Quand ils viennent de la crèche, ils ont un enfant dans une main, un autre dans l’autre main, ils ont peur et ils ne les lâchent pas. Tout notre travail, c’est d’apaiser les adultes pour que les mains s’ouvrent, que les enfants puissent jouer où ils veulent et que les adultes s’autorisent à être eux-mêmes. Ouvrir le plus possible pour qu’il puisse y avoir du jeu. Quand quelqu’un vient avec un téléphone au jardin, un chien marionnette s’en saisit et part en courant le cacher dans le terrier. Du coup, l’adulte court après le chien, l’enfant après l’adulte, ils rentrent tous ensemble dans le terrier, et ce téléphone qui faisait écran, qui masquait la réalité, tout d’un coup ça met du jeu dans la relation, sans qu’on soit passé par la coercition… C’est très concret, l’enfermement d’un enfant dans les règles des adultes. La question repose sur la manière dont on accompagne l’adulte pour qu’il ouvre l’espace de l’enfant.
La compagnie propose aussi des sorties en forêt toute l’année…
V. V. : Le jardin ou la forêt, en soi c’est bien, mais ce n’est pas pour ça que je le fais, je le fais pour que ça ouvre des possibles, dans le 93 et ailleurs, dans le quotidien des parents et des professionnels qui travaillent avec des enfants. Aujourd’hui, il y a une inflation réglementaire. Il y a une montée de la peur qui fait qu’on se cache derrière des règles de sécurité de plus en plus contraignantes qui referment petit à petit les espace de liberté des enfants et des adultes. J’essaye de montrer que la biodiversité présente en forêt est bonne pour les enfants, pour leurs défenses immunitaires, leur bien-être. La renaturation des enfants est fondamentale. Le problème aujourd’hui, c’est l’extinction d’expérience de nature. Dans une crèche, un petit enfant n’a pas le droit de marcher pieds nus dans l’herbe. En l’espace de deux générations, les enfants ont cessé de jouer dehors.
Propos recueillis par Maïa Bouteillet
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Journal d’un jardinier de l’enfance, de Vincent Vergone, éd. Ressouvenances. 19,99 €
Jardin d’Emerveille, parc forestier de la Poudrerie (93)
Maquis d’Emerveille, Paris XVIIIe. Accès gratuit sur réservation